Les ponts sur le Lot, la Dordogne et le Célé concentrent l’attention du Département qui investit chaque année près de 2 M€ pour offrir une seconde jeunesse à ces vénérables ouvrages.
On recense dans le département plus de 900 ouvrages d’art (ponts et tunnels) : un chiffre important qui s’explique par une topographie tourmentée et une forte densité de cours d’eau. Et aussi par l'histoire : le Lot n’a pas connu de destruction massive de ses ponts pendant la Seconde guerre mondiale, contrairement à d’autres départements français. Préservés, ces ouvrages d’art font la beauté de nos vallées, mais ils ont vieilli et nécessitent des travaux pour les pérenniser.
Pont Vicat à Souillac :
un ouvrage chargé d’histoire
Il y a deux siècles, l’ingénieur Louis Vicat (1786-1861), chargé de la construction du pont entre Souillac et Lanzac, a utilisé, pour la première fois au monde, de la chaux artificielle pour les fondations dans la rivière Dordogne, initiant l’ère moderne de l’industrie du ciment.
L’histoire commence avant la Révolution
1786 : l’assemblée de haute Guyenne vote un budget pour la construction d’un pont à Souilac, en remplacement d’un bac sur la Dordogne, une rivière très sensible aux crues.
Mais la Révolution suspend le projet.
1808 : de retour d’Espagne, Napoléon passe par Souillac. Le projet d’un pont est relancé peu après sur la route impériale 23 (actuelle RD 820) afin d’enjamber la Dordogne sur cet axe nord-sud stratégique.
1809 : l’ingénieur des Ponts et Chaussée Billoin arrive de Perpignan pour établir l’emplacement et un projet de l’ouvrage. Il nomme à ses côtés un jeune ingénieur de l’école polytechnique : Louis Vicat.
Le chantier démarre en 1812
1812 : la construction du pont démarre. Vicat s’installe à Souillac ; il y restera vingt ans.
Pour la construction, il faut trouver des pierres de qualité. Mais cela entraîne une hausse du coût initial du pont.
Il est décidé de supprimer deux arches pour alléger la facture : elles seront au nombre de sept. La longueur du pont est de près de 200 m et sa largeur est de 9 m.
Jusqu’en 1815, les guerres napoléoniennes mettent le chantier à l’arrêt. Résultat : un marché doit être résilié avec un entrepreneur. Et coup du sort : la crue de 1817 dévaste le chantier abandonné.
Pendant ce temps, Louis Vicat poursuit ses expériences à la recherche d’économies pour la construction du pont de Souillac et de consolidation de ses fondations : pourquoi ne pas adopter une nouvelle technique issue de ses recherches sur les chaux de construction ?
Louis Vicat publie un article dans les Annales de chimie dans laquelle il formule sa découverte sur la capacité d’une chaux à faire prise sous l’eau. Cette découverte repose sur la cuisson d’une juste proportion de calcaire et d’argile. L’Académie royale des sciences valide la découverte de Louis Vicat en 1818.
A Souillac, les travaux redémarrent en 1819 avec cette technique. La première pile du pont est bétonnée avec le procédé Vicat : de la chaux artificielle réalisée en ambiance humide. Cela inaugure une nouvelle ère : la fourniture de ciments naturels ne sera plus dépendante de la géologie.
Le pont encore en construction ouvre en 1823
En 1823, six piles sont déjà construites et trois voûtes érigées. Mais le 2 juillet, la Dordogne entre en crue et un cintre cède.
Pour autant, le chantier se poursuit et une cabane provisoire pour récolter l’octroi (péage) peut être ouverte durant l’hiver 1823/1824 permettant d’emprunter le pont, près de douze ans après le début du chantier.
Les parapets et la chaussée seront achevés plus tard.
De grands travaux au fil des siècles
Pour préserver cet ouvrage qui appartient désormais au paysage de la vallée de la Dordogne lotoise, de nombreux travaux d’entretien et de réparation ont eu lieu au cours des deux siècles passés, les premiers dès 1852.
A partir des années 2013, le Département du Lot, désormais en charge de cet ouvrage a mené plusieurs phases de grands travaux (maçonneries remises en état, nouvelle chaussée, trottoir élargi) pour retrouver notamment l’ouvrage tel qu’il avait été conçu à l’origine, par le jeune ingénieur Louis Vicat.
Ainsi, les anciennes plinthes (pièces qui tiennent les parapets) ont ainsi être entièrement démontées et reconstruites en béton imitant la pierre, selon une formule que des élèves du lycée Louis-Vicat de Souillac ont travaillée en partenariat avec les techniciens du Département du Lot et le groupe cimentier Vicat. Les pierres utilisées ont été, quant à elle, issues de carrières proches de celle d’origine.
Zoom sur l’incident de la première pile
en 1819
Le jeune Ingénieur Louis Vicat, sûr de sa technique, voulait construire tout de suite la voûte de la première arche, pour gagner du temps. Mais le corps des Ponts et Chaussées s’y opposait et imposa le chargement de la pile (pratique assez répandue alors) pendant un hiver. Au chargement, le massif de béton s’est incliné de l’aval vers l’amont, avec des fissures importantes. Cet incident marqua le pas sur l’avancée des travaux et risqua leur remise en cause. Après enquête, l’explication a été trouvée dans le mauvais tassement des vases. L’irrégularité du rocher calcaire avait rendu difficile la purge des graviers et des vases mélangées avant la mise en œuvre du béton de fondation provoquant ainsi le tassement et le déversement de la pile ou moment de sa mise en chargement.
Fort de cette expérience, les autres piles ont fait l’objet d’un compactage dynamique préalable …. pour améliorer ces zones compressibles. Le procédé Vicat n’était pas mis en cause, et dixit Vicat : le béton âgé de 2 mois et demi avait fait son devoir.
Pour les plus curieux, en observant la ligne d’eau sur la fondation de la pile 1, vous pourrez en effet constater qu’elle penche vers l’amont de plusieurs centimètres.
Pour aller plus loin
Saviez-vous que le nom de Louis Vicat est inscrit sur la tour Eiffel parmi les scientifiques, ingénieurs et industriels qui ont honoré la France par leurs travaux ou leurs découvertes ? Retrouvez les grandes dates de la vie de Louis Vicat en cliquant-ici